Classique
Description :
Le "O" du Haut est une commande des Neue Vocal Solisten de Stuttgart.
Il s'agit de deux madrigaux dans lesquels je fais chanter deux poésies du poète roumain Gerashim Luca, "le Triple" et "Ma déraison d'être", poèmes tirés du recueil héros-limite publié chez Corti.
Ces madrigaux sont écrits pour un ensemble vocal mixte: trois voix de femmes (deux sopranos et une mezzo-soprano) et trois voix d'hommes, un haute-contre, un baryton et une basse.
La conception du "O" du Haut est contemporaine du travail effectué pour Les trois Chansons pour la loterie Pierrot et Jean la Grêle sur les textes de Novarina.
Les préoccupations musicales et les modes d'écritures sont très proches et ces deux oeuvres ont été données ensemble lors d'un concert à l'abbaye de Royaumont en septembre 2008.
Gerashim Luca est un poète issu du courant lettriste. Il s'en est distancié en utilisant des structures grammaticales qui constituent la phrase et ses poème font souvent référence à une forme de versification avec des enjambements complexes et retors. Il revient parfois à des formes très repérable comme le rondo notamment.
Mais l'origine lettriste de Luca lui ouvre un champ sonore particulier qui ne peut que fasciner le musicien.
Les mots, leurs assemblages, la structure linguistique et sémiotique de la phrase jouent sur la perception lettriste de la langue française. J'ai retrouvé dans ces poèmes cette ambivalence si riche entre "le son et le sens": le "O du Haut" ou bien encore "le N de la Haine".
Il y a aussi dans la poétique de Luca et son jeu entre le son et le sens une alchimie entre les mots, les multiples variantes de la prononciation d'une voyelle en français (par exemple, la prononciation différente de la voyelle O dans les mots suivants: viOle, viOlon) la redécouverte de ce que j'appelle: les retournements du merveilleux verlainien.
J'ai retrouvé, en mettant en musique ces poèmes, le style madrigaliste. Il s'agit, encore davantage que dans Les trois chansons pour la Loterie Pierrot de véritables grilles harmoniques qui s'altèrent et dérivent lentement et d'intervalles faussement parallèles entre les voix car issus en fait d'échanges contrapuntiques.
Il y a aussi chez Gerashim Luca des périodes qui ne font pas seulement références au rondo. On peut y entendre aussi le souvenir le souvenir de sa tradition ancestrale: les acclamations très particulières du rite religieux des offices de la tradition juive d'Europe Centrale (les larmes chantantes de l'officiant et le passage alterné du murmure et du cri des acclamations - commentaires de l'assemblée)
L'OFFICIANT: le désespoir
L'ASSEMBLEE: le désespoir a deux paires de jambes, trois paires de jambes, quatre paires de jambes...
La mise en musique de ce poème s'impose alors pour moi ! Il serait trop réducteur de ramener ces forces poétiques de Luca aux seuls décryptage lacanien de l'inconscient des signifiant du son des mots, même si la conclusion du poème chante: le désespoir n'a pas de PAIRES... de jambes.
La souplesse unique de la langue française créée toujours ces structures rythmiques complexes que j'appelle des "lettres accents". Ces "lettres-accents" se dégagent par l'écoute lettriste du mot et de la phrase d'un sens trop réducteur. Alors naît la mélodie et la polyphonie madrigaliste. Se dégage aussi ces structures linguistiques et musicales purement abstraites, une poétique des proportions froides et pures.
Michaël Lévinas